Monnaie
Ce texte comme beaucoup de mes autres "cailloux" a d'abord été écrit pour introduire un Thema de la revue Ecrits...Vains? cailloux
Money monnaie !

Le poète doit-il être maudit... financièrement parlant ?

La question mérite d'être posée tant on finit par ériger au rang de vertu ce qui au départ n'était que pur constat... plutôt embarassé.

Mais voilà  ! Il y a eu Rimbaud et sa Bohème et plus rien ne fut pareil :

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvés !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou [...]"

Arthur Rimbaud - Cahier de Douais
Ma Bohème (Fantaisie)

Ou comment nécessité fait loi... universelle du talent poétique !

Personne n'a vraiment prêté attention aux parenthèses (Fantaisie). Non, si poète on se veut, alors pauvre on se doit ! La mercantilisation outrancière des deux derniers siècles aidant, le dogme paraît légitime. Et ça doit bien le faire rigoler l'Arthur ! Lui qui a tout plaqué pour s'ateler aux choses sérieuses, à savoir le trafic d'armes et les fricotis en tous genres.

Comme dirait Woody Allen, "l'argent est important, ne serait-ce que pour des raisons financières" ! Comment croyez-vous que la poésie a survécu à ces siècles de barbarie qui ne connaissaient ni le RMI ni les intermittants du spectacle ? Tout simplement en étant privatisée.

Oh! le gros mot est lâché ! A l'époque on appelait cela le mécénat... et de nos jours on essaye encore, avant qu'on ne nous renvoie à nos tablettes. L'Art (notez la majuscule) doit être financé par l'Etat, le CNL, les collectivités locales, les subventions diverses et variées (sans censure ou directives, s'entend). Dès que le moindre centime venant des entreprises, du monde des affaires pointe son nez, on crie à la privatisation, à la trahison.

La poésie et la littérature crèvent de cet état d'esprit. Les princes mécènes d'autrefois sont les grands patrons d'aujourd'hui. Ni moins barbares, ni moins cultivés... ni moins au fait de leurs intérêts. Ce qui s'appelait prestige autrefois est labélisé communication de nos jours. Comment croyez-vous que les Médicis ont créé Florence ?

Le seul art qui ait, de nos jours, échappé à la culture de masse c'est la poésie ! D'aucuns s'en réjouissent... pas moi ! A travers internet cette "massification" avance malgré tout... avec son lot de scories, certe, mais avec des textes magnifiques à découvrir.

Non, la poésie et la littérature ne sont pas des boîtes de conserve comme les autres mais à force de refuser d'en faire des objets d'échange (des biens culturels dont on peut espérer faire profit d'une façon ou d'une autre), on va les faire mourir pour de bon. Il faut de nouveau avoir pour ambition de vivre de sa plume... toutes proportions gardées, soit ! mais sans utopistes, les mentalités n'avancent pas.

Les textes les plus remarquables sur l'argent disent à quel point il est une valeur incontournable (je ne dis pas essentielle, je ne dis pas valable) de notre monde contemporain.

Ne nous voilons pas la face : ce n'est que lorsque les tomates bio ont fini par trouver un mode de production pérenne, à coûts réduits, qu'elles sont devenues populaires auprès des ménagères de moins de 50 ans. Le même processus doit pouvoir s'engager sur d'autres valeurs tout aussi essentielles que le développement durable.

La culture durable par exemple !

Une sorte de plus grand dénominateur commun au lieu de ce nivellement insensé auquel sont confrontés les profs, les parents et, plus modestement, nous autres, éditeurs en tous genres, qui voyons défiler les auteurs pleins d'inspiration et de talet mais dépourvus des outils les plus élémentaires pour exercer le métier d'écrivain auquel ils prétendent.

Parce que dématérialiser la création littéraire, la déconnecter d'une réalité triviale, c'est comme vouloir faire pousser une plante sans racines. Avant d'être dans l'Art (fichez-moi en l'air cette majuscule!) nous devons être dans l'artisanat.

Ce qui veut dire labeur, technique, apprentissage... et vente !

Autant de choses que, en évacuant "l'aspect financier", nous avons évacuées de la littérature...