Aux nouvelles

Détachement

par Anita BELDIMAN-MOORE

Le jour point à travers les volets et mes paupières entrouvertes. Quelques bruits étouffés me confirment qu’elle est réveillée et qu’elle s’active dans la cuisine. Le soleil paraît devoir s’imposer ce matin mais je sens qu’il sera funeste pour moi et marquera la fin du long processus d’éloignement qu’elle semble avoir mis au point avec grand souci du détail.

Tous avait pourtant bien commencé. Dès le premier regard que nous avons échangé elle était toute à moi. Chaque geste, chaque requête muette que je lui transmettais était aussitôt exaucée avec tendresse et indulgence. A chaque fois que je le réclamais elle s’allongeait près de moi m’offrant son corps et sa substantifique moelle afin de rassasier mes sens. Le parfum poivré de ses seins s’exhalait à mon seul profit, et le satiné incroyable de sa peau m’était comme une seconde peau.

« Mon cœur », « mon amour », « mon âme » venaient tout naturellement à ses lèvres et me remplissaient de bonheur.

Elle était mienne en paroles, en actes et en pensées. Entièrement mienne.

Puis vint le premier refus. Ce fut un après-midi vers quatre heures. Ses bras s’ouvrirent mais son corsage demeura obstinément clos. Cajoleries et gâteries furent de bien piètres succédanés.

Je ne pus mettre cela sur le compte d’un égarement passager puisque cela se reproduisit tout au long de la semaine. Je sentais qu’elle était consciente de mon désarrois et le fait qu’elle n’y réponde pas ne faisait qu’accroître ma douloureuse confusion.

Quelque chose me disait que cela n’était que le début de la fin. J’aurais aimé me tromper.

Au fil des jours et des semaines son corps se refusa un peu plus au mien.

Oh, elle me caressait encore, m’embrassait, me laissait prendre encore parfois ses seins à pleine bouche, mais je n’étais plus le maître de cette indépassable créature. Chaque étreinte refusée me brûlait comme une torture et je ne me privais pas de lui faire sentir mon humeur.

Elle essaya alors de me distraire par de nouvelles gâteries accompagnées de discours enjôleurs. Mais le mal était fait et rien ne pouvait masquer la réalité crue : sa peau, ses seins, son parfum se dérobaient de plus en plus à moi. Nous n’étions plus la fusion parfaite que nous n’aurions jamais dû cesser d’être.

Et la voilà qui se penche sur moi en ce matin que je sais fatal. Son sourire a cet éclat que rien de ce que je connais ne saurait égaler. Son parfum m’est tout un univers. Ses mains qui courent sur mon visage, sur mon corps sont les seuls vêtements que je désire. Sa voix m’enveloppe et me plonge au plus profond de ma mémoire embryonnaire.

Mais ses mots. Oh, ces mots !

« Bonjour mon petit homme. Bonjour mon cœur. Voilà ton petit déjeuner. C’est un petit déjeuner de grand. Parce que tu es un grand à présent. Le lait du biberon est aussi bon que celui de maman, tu le sais. Et puis je serai toujours là pour te blottir dans mes bras. Je t’aime mon petit homme. »

Oh, ces mots ! Je veux qu’ils ne soient pas ! Je veux ton sein, ta sève, ta vie. Donne-moi encore la vie maman.

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